mercredi 10 janvier 2018

Pierres collectées /4

4/ Gestes de pierres /2:
Assise sur la pierre de seuil, celle où la croix gravée était retournée vers les tréfonds, celle qui désormais contemple le bleu du ciel, assise là , après avoir ramassé à l’aide d’une petite pelle en plastique bleu la terre du chemin et l’avoir versée dans un plat à deux anses, je faisais osciller le récipient en mouvements horizontaux de balancements un peu vifs, je séparais les gros grains des plus petits. Les gros grains étaient rejetés plus loin d’un geste sec tandis que les plus petits étaient conservés et rejoignaient ce que je nommais le sable doux. Je n’avais jamais vu de plages, ne connaissais rien des longues dunes du désert, mais mes doigts recherchaient le toucher de ce front de sable, cette sensation de temps saisi, ce quelque chose que l’on passera sa vie à chercher sans jamais être sûr de l’avoir trouvé. Ecrivant cela, près de soixante ans plus tard, l’idée se fait jour que c’était un geste d’ange, qui vous monte du dedans s’apprêtant à ouvrir un univers que vous ne soupçonnez pas. Un peu de vertige reste accroché à ce front de sable.
J’ai trois flacons de sable. Je sais leur origine large, le pays d’où ils sont issus. Le plus ancien est coulé dans un pied de lampe ayant la forme d’une main droite dont quatre doigts sont repliés côté face et l’index se dresse à l’arrière pour soutenir l’idée d’un miroir.; il mesure près de quarante cm et est surmonté d’un chapeau rouge bordeaux en forme de trapèze. Sur ce qui représente un miroir, il y eut longtemps la photo de mes grands parents paternels avec mon père enfant. J’ai toujours vu cette lampe sur le bureau de mon père. Au retour d’un court séjour en Algérie et d’une échappée dans le Sahara – il y a plus de quarante ans – je lui ai donné le sable rapporté dans une bouteille d’eau , Saida peut-être. Je me souviens des grains de sable coulant avec précaution par le goulot de la lampe et s’insinuant dans les doigts de la main puis emplissant la partie réservée au miroir. La lampe est restée devant lui tant qu’il a pu contempler ce silence opaque emprisonné dans le verre. J’ai repris cet héritage, j’ai changé le chapeau , ôté la photo et ne l’ai point remplacée. Dans le miroir de verre transparent, je ne vois que des grains aux tons de gris non uniformes me rappelant un souvenir inoubliable du désert du Sahara. La lampe pèse de tous ces grains agglutinés entre les parois de verre, de tous ces grains serrés à s’étouffer. Le dos de la main , en légère torsion, laisse imaginer un sable plus doux, plus fin que sur le côté face toujours en évidence sur le bureau, comme si le regard à force de s’être posé toujours sur le même angle de vue avait noirci certains grains… Je sais aussi au bas de la lampe une trace plus sombre de moisissure dont je ne souhaite tirer aucune analyse. Les deux autres flacons sont plus petits et le sable qui s’y repose m’a été offert. L’un vient du désert d’Aden, sur des dunes foulées par Rimbaud – là l’imaginaire pédale à grande vitesse - : il est beaucoup plus rouge , plus concentré dans un petit flacon. 
 
A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes. 
 
Le dernier flacon contient un sable d’un rouge sombre, avec de gros grains concentrés sur un côté; il est originaire d’Australie , je ne sais d’où avec exactitude mais il me fait songer aux peintures des Arborigènes dessinant les territoires et les hommes qui y vécurent en des géométries où l’esprit fait corps avec sa terre. Mon ivresse se tient dans ses flacons de sable issu de longues érosions et qui ne révèle rien d’autre que ce que j’’y apporte.
Assise sur la pierre de seuil, celle qui a protégé des corps inconnus dans l’ancien cimetière du village, et qui désormais recueille les eaux de pluie dans les creux gravés entre croix et roche, et ne fixant rien d’autre qu’un mur de pierres élevé face à moi, je persistais à agiter ce petit plat avec l’arène granitique récoltée à mes pieds, à trier le sable doux de celui plus grossier, à éroder un florilège de grains comme aujourd’hui je m’astreins à le faire avec des escarbilles de mots.


1 commentaire:

Linette a dit…

Il est des grains de sable comme une bouteille lancée à la mer; ils appellent au secours et l'imaginaire est là pour cautériser leur errance.