mardi 13 février 2018

Cartographie # 7.

                      PASSE.
     Il n'a plus beaucoup de cheveux, un crâne luisant et croit-il une certaine sagesse. Sa barbe qu'il entretient blanche et luisante le vieillit avec élégance. Il avance en sifflotant dans le chemin, il va ouvrir les portes de la maison qu'il vient d'acheter, sa dernière folie, il ajoute.

     Elle arpente les chemins tôt les matins. Les bras croisés derrière le dos, le fichu sur la tête, elle marmonne sans arrêt sur tout et sur rien. Ce matin, elle en veut particulièrement "au docteur" qui l'envoie passer "une imagerie", non une échographie à l'hôpital Emile Roux au Puy en Velay.

     Il pleure son vieux chien mort assis sur le muret du jardin. Mirka, il l'appelait. Ses yeux fanés retiennent les larmes qu'il n'ose pas montrer. De son nez coule la morve de la tristesse.

     Elle marche bien droite impeccable dans sa robe noire et son cardigan en mohair. Elle se sait toute petite alors pour se grandir elle porte ses souliers neufs à talons qui la blessent un peu. Elle est jolie même si avec toutes les années elle ressemble à une pomme reinette un peu fripée. Elle veut lui plaire, c'est la communion de sa petite-fille.


                    PRESENT.
     Marcellin est dans sa cour. Le pantalon de coutil bleu retenu bien haut par une ceinture en cuir vieilli. Le pull-over tricoté à la main ne compte plus les accrocs. Il ne fait pas bien chaud, il frissonne. Ses yeux balayent l'horizon, "on dirait bien qu'il va pleuvoir, c'est bon pour les champignons ça!"

     Elle regarde le ciel comme si sa vie en dépendait. Une main au-dessus des yeux en visière, l'autre dans le dos, cette fichue douleur qui ne veut pas s'en aller!  S'il fait orage, ses petits comme elle dit, ne viendront pas. Et alors elle ferme les yeux pour ne pas montrer qu'elle a envie de pleurer.

      Hagarde elle erre dans le bois. Elle cherche le chemin qui conduit à la source d'eau ferrugineuse dont elle a souvent entendu  parler. De sauts périlleux en enjambées maladroites elle essaie de garder l'équilibre entre les branches qui obstruent le passage quand elle devine une pancarte en carton aux lettres blanches peintes à la main "Source de la Suchère".

     Elle se lève moins tôt maintenant qu'elle est en retraite mais c'est le froid qui la réveille. Elle dort presque toutes les nuits la fenêtre ouverte. Aujourd'hui c'est un vrai temps d'hiver. Elle allume le poêle, enfile une vieille paire de bottes, elle veut porter les épluchures de légumes au compost et à ses poules, elle vit presque en autosuffisance. Une marche, deux marches de l'escalier en pierres, elle glisse et ne peut pas se  relever.


                    FUTUR.
        Il passe son bac en juin puis il doit travailler pendant ses vacances pour payer ses études. En septembre il intègre une grande école à Clermont-Ferrand. Il attend la date avec impatience, enfin être étudiant!

     Les cheveux maintenant blonds et courts sur une frimousse rieuse. Elle fait une nouvelle saison sur les bords du lac d'Annecy. Avant, elle revient voir une nouvelle fois l'auberge où elle a grandi. Elle chante, elle est peut-être amoureuse.

     Ils partent au lever du soleil. Bras dessus bras dessous l'air frais du matin gonfle leur poitrine. Ils ne se retournent même pas quand ils entendent le grand bruit qui vient de la ferme où ils se sont aimés toute la nuit. Le toit vient de s'écrouler.

     Elle ferme les volets ce lundi à onze heures du matin. Elle entend une dernière fois grincer les crochets qui commencent sérieusement à manquer d'huile lubrifiante. Partout c'est le silence. Elle tremble de froid et de solitude dans la maison vide maintenant. Elle remonte la fermeture de son manteau pour tenir ses souvenirs au chaud. Un dernier tour de clefs, un dernier regard amoureux. Ne plus se retourner la maison est vendue.
    


    

1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Comme ils sont attachants et vivants ces personnages, il me semble les voir. Frappée aussi à quel point -excepté le 4°- le futur est optimiste. Je trouve ça merveilleux